Abdelkader Bendamèche,musicologue et écrivain, à El Moudjahid : «Amar Ezzahi a donné une autre dimension au chaâbi»

El Moudjahid : Vous consacrez enfin un livre entièrement à Amar Ezzahi, parlez-nous-en ?

Abdelkader Bendamèche : Amar Ezzahi mérite largement cette publication. Pour la reconnaissance d’abord et puis la considération. C’est un monsieur qui a changé la face de la chanson chaabie, pourtant, il a été un élève indirect de Boudjemaa el Ankis, ensuite, il s’est distingué par sa propre personnalité, par sa manière de chanter qui était différente des autres. Il y a aussi la voix et la connaissance des poésies qu’il avait interprétées, avec lui, c’était une toute autre dimension. Ce qui m’a fait choisir cet artiste aussi c’était sa cérémonie d'enterrement qui était grandiose. Cette grandeur, sortie au grand jour de l’Algérie toute entière, et puis du monde entier parce que la presse unanime, nationale et internationale, a relevé ce fait historique très important. On a rarement vu une telle foule et émotions, sauf pour des chefs d’Etat ou de grandes personnalités, comme Hadj Mrizek qui a eu les honneurs de cette grande foule à l’époque.

Qu’est-ce qu’il le distinguait des autres interprètes de sa génération ?

D’abord c’est l’improvisation par moment, c’est la sortie du cadre qui est déjà prévu, car il y a un un cadre dans le monde du chaàbi la mremat (canevas), qui sont pré-établis par les anciens et l'histoire de cette musique, Amar Ezzahi en est complètement sorti. Par exemple, pour ses débuts dans les années 60, il a choisi les mêmes modes et chansons de Boudjemaâ El Ankis qu’il a beaucoup imité. Il s’est distingué ensuite par l'improvisation que d’autres ne font pas. Il y a un cadre à respecter que tous les interprètes du chaâbi doivent respecter, lui, il a éclaté l’espace musical du chaâbi qui, je ne dirais pas était cloisonné, mais plutôt avait une forme... avec Amar Ezzahi il a pris une autre forme. Il s’est distingué également par les cérémonies familiales qui lui étaient propres. Il offrait d’exceptionnels slaloms de musique qui tenaient en haleine toute la population qui venait écouter. J’ai assisté à quelques-unes et c’était envoûtant, on ne pouvait plus sortir de la soirée. Amar Ezzahi donnait la pleine latitude, possibilité et liberté aux musiciens de le suivre ou de ne pas le suivre, c’était comme il voulait. Il ne faisait jamais de remontrances aux musiciens, c’est comme ça qu’on a eu beaucoup de virtuoses qui ont travaillé avec lui et qui sont devenus par la suite des icônes liés à leur instruments.

Vous consacrez un chapitre à l’éclipse de l’artiste. Parlez nous de cette face de sa personnalité, de rester populaire et refuser la lumière ?

Parfois, c’est lorsqu’on refuse la lumière qu’elle vient à nous. Amar Ezzahi a eu beaucoup de lumière, même en étant absent. Je parle de l’éclipse car c’est à ce moment-là qu'il est devenu plus célèbre. C’est la rareté qui fait l’important et le coût qui devient encore important de la valeur de l'artiste. J’ai toujours dit, même de son vivant, qu’il faut le laisser libre. Amar Ezzahi est un véritable artiste voué à la création artistique, s’il ne veut pas le faire, il ne faut pas lui demander de le faire, et quand il doit et veut revenir, qu’il revienne. Il est revenu à plusieurs reprises comme c’était le cas le 10 et 11 février 1987 à la salle Ibn Khaldoun à Alger où il a signé le plus beau concert de sa carrière. Les musiciens qui étaient avec lui ont tous pris de l’envol, tous sans exception, essentiellement Mustapha Skandrani.

Je vous laisse le mot de la fin…

Je rends hommage et une grande reconnaissance à Amar Ezzahi et je me permets par ces modestes moyens à le laisser dans l’histoire. Il n y a pas mieux qu’un livre pour garder la mémoire d’une personnalité dans l’histoire.

Propos recueillis par K. B.

Source article : https://www.elmoudjahid.dz/fr/culture/abdelkader-bendameche-musicologue-et-ecrivain-a-el-moudjahid-amar-ezzahi-a-donne-une-autre-dimension-au-chaabi-187575